« Offrir des biens publics et des communs », rédigé par Philippe Bance.

L’ouvrage dans sa version intégrale ou par article est téléchargeable en anglais en libre accès numérique gratuit sur le site du Ciriec international au lien suivant :

http://www.ciriec.uliege.be/publications/ouvrages/providing-public-goods-and-commons/ .

Offrir des biens publics et des communs.
Vers la coproduction et de nouvelles formes de gouvernance pour revitaliser l’action publique
Philippe BANCE
CRÉAM – Normandie Univ, UNIROUEN

Introduction
Les dernières décennies n’ont pas seulement été marquées par la montée en puissance de conceptions économiques libérales et leur emprise croissante à l’échelle mondiale sur les politiques publiques. Elles ont également été celles de l’émergence de problématiques de refondation de l’analyse économique et des politiques publiques sur la base des opportunités que pourraient représenter à l’avenir la production de biens publics mondiaux et de biens communs (ou « communs »).
Pour répondre aux enjeux planétaires du développement durable, le Programme des Nations-Unies pour le développement (PNUD) des années 1990 a ainsi préconisé de repenser les politiques publiques à l’appui du concept de bien public mondial (Kaul et al., 1999). Le concept de bien public mondial a pour origine celui de bien public de la théorie économique standard qui considère que la double caractéristique de non-exclusion et de non-rivalité de consommation de certains biens rend nécessaire l’action publique afin de pallier les défaillances du marché qui suscitent l’insuffisance de leur production (et limitent donc l’accès à leur consommation). La problématique du PNUD élargit cependant l’approche standard en ne restreignant pas ce besoin de production sous l’égide des autorités publiques aux seules caractéristiques techniques de consommation de certains biens. Elle confère également aux biens publics des caractéristiques sociales qui rendent nécessaire leur production pour des raisons socio-politiques, pour répondre aux besoins d’équité (Ballet, 2008) entre pays, populations et citoyens du monde. Et le PNUD met ainsi en exergue la nécessaire participation de tous aux processus de décision et de distribution des bénéfices des biens publics (Thoyer, 2011).
Pour autant, l’approche est restée évasive sur le rôle que peuvent jouer les organisations, en particulier les organisations hybrides, c’est-à-dire en mesure d’exercer à la fois des missions parfois contraignantes d’intérêt général et de répondre à des exigences commerciales, de l’économie publique et de l’économie sociale, dans ce processus de mise en œuvre de la production de biens publics mondiaux. Les choix opérés en matière d’action publique de lutte contre le réchauffement climatique ont, à titre d’exemple, largement reposé à l’échelle mondiale sur l’instauration de marchés des droits à polluer, et par là-même sur un ancrage foncièrement marchand des politiques publiques, dont les résultats apparaissent après près de deux décennies de mise en œuvre très peu probants. La production des services publics, des entreprises publiques et plus largement le rôle de structures permettant aux autorités publiques de mettre en œuvre ou d’accompagner des politiques de développement durable et d’amélioration du bien-être des populations s’en trouvent réinterrogés.
Dans le même temps, les travaux d’Ostrom et de ses disciples ont suscité un intérêt croissant par leur mise en exergue des vertus des biens communs et par le démenti apporté à la théorie de la tragédie des communs : ils montrent que les communs sont source d’une bonne gestion de la ressource, en permettant notamment le développement de démarches participatives, fondées sur des principes non marchands et de proximité territoriale en réponse aux besoins des populations. Le commun s’y définit en effet comme un bien conjuguant trois grandes caractéristiques : le partage de la ressource, la nature des droits et des obligations qui lient les participants, et enfin un mode de gouvernance permettant aux participants de faire respecter au cours du temps le système de droits et d’obligations le régissant (Coriat, 2015). Le commun est dès lors un bien partagé pour lui-même, produit d’interactions individuelles assurant une bonne gouvernance des organisations, alors que le bien public mondial est accessible à tous à des fins d’intérêt général mais ne fait pas nécessairement l’objet d’un mode de gouvernance permettant de gérer efficacement la ressource. Ostrom et ses disciples voient ainsi dans le mode de gestion de la ressource par le commun une forme supérieure de propriété, et prennent le contrepied de la théorie des droits de propriété qui postule au contraire la supériorité intrinsèque de la propriété privée. Comme le souligne Weinstein (in Coriat, 2015), ce type d’affirmation reste cependant insuffisamment étayé, et l’on peut s’interroger sur la capacité du commun à pouvoir susciter d’une part le dépassement des logiques de développement marchand de l’économie contemporaine, d’autre part un accroissement de la production de biens publics mondiaux en les gérant efficacement dans une perspective de développement durable. Les communs occupent de plus une place réduite dans l’économie d’aujourd’hui, et s’ils peuvent prendre à l’avenir une importance grandissante, ils sont aussi susceptibles d’être ingérés par l’économie marchande.
Plutôt que raisonner en termes de suprématie d’une forme de propriété sur une autre, il est donc plus pertinent de s’interroger sur le déploiement de politiques publiques concourant à développer la coproduction ou la production jointe de communs et de biens publics mondiaux, à côté de la production privée, selon des modes de gouvernance répondant aux attentes du développement durable et d’intérêt général.
Les développements analytiques des dernières années montrent en tout cas la pertinence des thèmes de recherche traditionnels du CIRIEC, ceux qui relèvent de sa vocation intrinsèque : analyser comment servir au mieux l’intérêt général sous les auspices des organisations collectives d’économie publique et sociale. Sans trop s’attarder sur les travaux antérieurs du CIRIEC en la matière, on renverra à deux ouvrages collectifs : Monnier et Thiry (1997) et Enjolras (2008). Début 2016, le Conseil Scientifique International du CIRIEC a cependant lancé un appel à contributions pour mener des recherches qui débouchent sur la publication de cet ouvrage, en faisant porter plus avant l’étude sur les modalités et les effets du déploiement de nouveaux modes de coopération entre organismes publics et d’économie sociale en matière de production de biens publics et de communs. Le présent ouvrage collectif analyse ainsi pourquoi et comment l’action des organisations de l’économie publique et sociale est source de renouveau dans la conduite des politiques d’intérêt général dans l’économie du 21ème siècle. La recherche traite également du potentiel de ces partenariats sans pour autant négliger leurs limites.
Dans cette perspective, le livre rassemble des experts venus d’horizons divers : leurs analyses s’appuient sur des contributions théoriques et appliquées dans différents secteurs (finance, santé, services, économie forestière) ; ils sont originaires de multiples pays à travers le monde (Amérique du Sud, Europe, Japon) ; leurs méthodologies sont variées, avec des développements théoriques ou de nombreuses études de cas prouvant la pertinence de leurs analyses. Cette diversité de points de vue conduit néanmoins à des diagnostics partagés : la globalisation de l’économie est source de « régularités » à travers le monde, et notamment de transformations des politiques publiques caractérisées par un décloisonnement de l’action des organisations de l’économie publique et de l’économie sociale pour produire des biens publics et des communs. Les conséquences en sont potentiellement diverses : nouvelles formes d’expression de l’intérêt général ; mutations des organisations contribuant à la production de biens publics et de communs ; réorganisation de l’activité autour de multiples acteurs ; nouveaux modes de gouvernance.
Pour étudier les transformations en cours dans la nouvelle économie et traiter des questions que cela pose, le livre est structuré en quatre parties.
– La première partie porte sur la territorialisation des organisations publiques et de l’économie sociale ainsi que sur le déplacement des frontières entre économies publique et sociale que l’on observe dans les dernières décennies ; elle précise aussi comment le déploiement de nouvelles politiques publiques en a renforcé l’ancrage territorial.
– La deuxième partie de l’ouvrage met l’accent sur la nécessité d’une transformation radicale du secteur financier du fait de ses spécificités en tant que bien public ou de commun et de son impact sur la société.
– La troisième partie étudie les conséquences sur les comportements et l’identité des organisations de l’émergence de nouvelles formes de coopération entre pouvoirs publics, organisations publiques et de l’économie sociale.
– La quatrième partie analyse enfin les transformations des modes de gouvernance des organisations dans un nouveau contexte multi-acteurs.
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La première partie débute par un chapitre intitulé « La contribution du secteur associatif à la réduction des inégalités spatiales : quatre cas de coopération interinstitutionnelle en Italie ». Andrea Salustri et Federica Viganò y précisent que les limites du secteur public dans la réduction des inégalités spatiales et les insuffisances du marché à répondre aux besoins urgents dans les régions périphériques amènent les ménages à se tourner vers les activités à but non lucratif ou même à l’autoproduction pour satisfaire leurs besoins. Un important secteur non lucratif offre cependant aux groupes sociaux marginalisés ou exclus l’opportunité d’obtenir, dans un cadre légal et éthique, un revenu par des prestations (monétaires ou non monétaires) pour leur permettre de vivre de manière décente. Quatre cas de coopération fructueuse, avec les organisations d’économie sociale et solidaire d’une part, entre secteurs privé et public d’autre part, montrent l’utilité de disposer d’un secteur associatif qui sous-traite la production de biens publics, en réduisant ainsi les coûts à un niveau d’efficacité supérieur.
Le deuxième chapitre, de Pascal Glémain, intitulé « Les entreprises sociales d’insertion par le travail en tant qu’« organisations apprenantes » », montre que le modèle du développement durable nécessite un soutien politique des collectivités territoriales vis-à-vis des acteurs qui dynamisent les territoires au plans économique, social et environnemental, à savoir les organisations de l’économie sociale et solidaire. Les entreprises sociales sont dans cette perspective des organisations apprenantes agissant pour l’intégration économique et que l’on peut considérer comme des « entreprises » placées au cœur des processus de développement territorial local. Il s’agit d’organisations de dialogue, à la fois ascendant et descendant, au service de l’emploi dans le processus d’apprentissage par le travail. L’étude de cas des « Ateliers et chantiers d’insertion », qui relèvent du réseau français Chantier école, montre la nature de ce phénomène.
Le troisième chapitre d’Ancuţa Vameşu, Cristina Barna et Irina Opincaru, « De la propriété publique aux communs », est une analyse de la ré-institutionnalisation en Roumanie, après 50 ans de gestion publique, de communs dans le secteur forestier. Ces communs sont analysés en tant qu’organisations de l’économie sociale et solidaire qui offrent un cadre viable de gestion durable des ressources face aux exigences économiques. Il précise en quoi la production collective de normes par ces nouvelles organisations impacte la soutenabilité de la gestion des biens naturels et permet de produire de nouveaux biens et des services d’intérêt collectif. Les communs contribuent ainsi au développement de projets de construction, d’une agriculture mixte, au soutien à l’agriculture, tout en prenant à la fois en compte objectifs économiques et sociaux et environnementaux.
Le dernier chapitre de la première partie, de Shinichi Saito, Munenori Nomura, Fumitoshi Mizutani et Francis Rawlinson, « Redéfinir les frontières entre l’économie publique, l’économie sociale et les organisations à but lucratif dans la fourniture de services publics », précise les transformations du rôle du secteur public japonais. De fournisseur de services directs, il devient un intermédiaire de soutien. Après une forte intervention directe des pouvoirs publics dans les services publics, les réformes institutionnelles ont en effet rendu possible une large participation du secteur privé, en particulier dans certaines zones rurales confrontées à des difficultés majeures de maintien des services publics, et notamment en matière d’infrastructures publiques. Les alternatives ouvertes par la réorganisation ou la création d’« entreprises sociales » sont explorées. Le concept de partenariat public-privé (PPP) entre opérateurs privés et du secteur public s’en trouve étendu : le secteur public n’a plus pour seuls partenaires les opérateurs privés mais aussi des entreprises sociales qui sont indépendantes des entreprises commerciales privées.
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Les trois chapitres de la deuxième partie de ce livre argumentent sur les manières de mieux prendre en compte les caractéristiques du secteur particulier qu’est la finance afin de le transformer pour servir l’intérêt général.
Faruk Ülgen, dans son chapitre « La stabilité financière comme bien public mondial et la réglementation systémique pertinente comme problème d’action collective », propose une alternative à la conception économique dominante, la fondant sur des logiques de service public et d’action collective des marchés financiers dans un environnement globalisé. Il soutient que la stabilité financière est un bien public (global) particulier, nécessaire à chaque membre de la société mais que personne ne peut garantir au plan individuel. La stabilité financière nécessite dès lors une organisation spécifique de service public pour assurer et gérer la production et la permanence des activités financières (allant du crédit bancaire aux entreprises et ménages aux activités d’intermédiation financière, en particulier les opérations spéculatives pures). Cela passe par une action collective qui permette un fonctionnement cohérent des marchés financiers. Mobilisant l’analyse institutionnaliste, il montre que le développement économique est étroitement lié à l’évolution des marchés financiers, que l’action publique tout comme les stratégies privées reposent sur le cadre financier institué dont la soutenabilité dépend de la stabilité des opérations de marché.
Dans le second chapitre, « Comprendre la financiarisation et ses impacts sur l’économie sociale », Manuel Belo Moreira étudie, dans une perspective inspirée de l’économie politique, le rôle hégémonique de l’idéologique néolibérale en matière de développement de la financiarisation et ses impacts sur l’économie sociale. Il montre comment cette idéologie influence non seulement la pensée académique, et au-delà, façonne le « bon sens » des populations pour renforcer sa domination ; il précise aussi pourquoi cette idéologie se trouve renforcée en dépit de ses effets négatifs qui devraient susciter le rejet. L’étude de l’impact de la financiarisation sur l’économie sociale le conduit à réfléchir à la différenciation des composantes de l’économie sociale et sur la façon dont elles peuvent être affectées par l’idéologie et les politiques néolibérales. L’auteur suggère dans cette perspective de différencier les institutions de l’économie sociale qui ne concurrencent pas les entreprises à but lucratif des institutions qui, concurrentes sur le marché, pourraient fonctionner comme une alternative aux entreprises capitalistes.
Bernard Paranque clôt la deuxième partie de cet ouvrage par un chapitre sur « La finance en tant que « bien commun » compris comme idéal-type pour l’émancipation ». Il utilise une approche de type idéal pour analyser les « interstices » dans lesquels l’émancipation pourrait apparaître et transformer la finance. Il pose ainsi la question de savoir comment la valeur d’usage peut échapper à la domination de la valeur d’échange et comment un autre type de propriété privée, libérée du capital, pourrait être promue. Il se réfère aux recherches sur les communs pour ouvrir de nouvelles perspectives, poser notamment la finance en tant que commun, pour réformer sur cette base la théorie financière dominante. Le développement des connaissances sur la finance devrait pour lui se fonder sur la reconnaissance de la diversité des méthodes de coordination et de la variété des modalités d’appréhension du milieu, de l’histoire et des institutions qui permettent les mises en relation avec les tiers. Ceci devrait conduire, au niveau macrosocial, à une refonte conceptuelle des objets financiers (monnaie, crédit, valeur) et, au niveau microéconomique, à l’émergence de nouvelles manières de faire des affaires, de coopérer et de faire fonctionner des organisations.
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La troisième partie de cet ouvrage regroupe quatre chapitres qui traitent des nouvelles formes de coopération, de leur impact sur les identités et les comportements des partenaires de l’économie publique et sociale, et des qualités de telles coopérations pour la prestation de service.
Philippe Bance, Jean-Philippe Milésy et Christelle Zagbayou y étudient dans un premier chapitre « Le développement en France de partenariats entre organisations publiques et d’économie sociale dans le cadre du nouveau paradigme d’action publique ». Ils analysent les raisons et les traits caractéristiques des transformations institutionnelles et sociales des dernières décennies, intervenues avec l’avènement de la nouvelle gestion publique, et montrent qu’elles sont à l’origine de nouvelles formes de coopération entre les organisations de l’économie publique et de l’économie sociale. Les partenariats public-économie sociale et solidaire sont aujourd’hui impulsés par les entreprises publiques, les organisations publiques non marchandes ou les pouvoirs publics, qui y trouvent un moyen d’étendre les prestations de service public dans un contexte général de réduction des ressources financières. Par de multiples exemples portant sur diverses formes de coopération entre organisations, sont précisés comment se trouvent maintenues ou accrues des prestations de service public au profit des citoyens. Mais ce nouveau modèle soulève trois interrogations principales : la capacité des organisations de l’économie sociale à conserver leur identité propre : la résilience d’une conception foncièrement centralisatrice qui imprègne le modèle français ; enfin, la limitation de la capacité à coconstruire l’intérêt général par les différents partenaires du fait de la banalisation des organisations de l’économie sociale.
Monique Combes-Joret, Laëtitia Lethielleux et Anne Reimat, dans leur chapitre « Stratégies de coopération entre les organisations de l’économie publique et sociale », analysent comment ces organisations pourraient coopérer durablement. Elles font tout d’abord un état des lieux de la littérature pour identifier un idéal-type de coopération soutenable, qui préserve notamment l’identité des organisations de l’économie sociale et permette de déboucher sur un consensus quant aux objectifs, décisions et modalités de mise en œuvre des politiques publiques. Elles procèdent ensuite à trois études de cas relatives à i) la coopération fondée sur un partenariat qui permet la co-construction de politiques publiques ; ii) la coopération, également fondée sur un partenariat, mais reposant sur une mise en complémentarité plutôt que sur la co-construction ; iii) la coopération basée sur une contractualisation qui laisse moins de place à la préservation de l’identité des organisations à but non lucratif. Les études de cas révèlent à la fois les difficultés de la coopération en pointant certaines conditions d’une coopération soutenable, et la capacité d’organisations de l’économie sociale à peser par leur identité propre sur les relations partenariales et sur la co-construction.
Malika Ahmed Zaïd, en interrogeant la « Co-construction de l’intérêt général et les formes d’innovation sociale en Kabylie » (Algérie), traite des conditions de conceptualisation et de co-construction des politiques publiques sur ce territoire, en s’appuyant sur une enquête auprès des associations et des acteurs publics concernés. Après avoir caractérisé les innovations sociales menées par les organisations socio-économiques en lien avec l’offre publique, elle montre leur impact pour la communauté et le territoire. Leur importance dépend des prédispositions institutionnelles pour une gouvernance territoriale partagée qui intègre les innovations dans la prestation de services économiques et sociaux. La capacité contributive des organisations de l’économie publique et de l’économie sociale à la construction de politiques d’intérêt public et les formes partenariales adoptées (communauté-public, social-public, international-public) sont explicitées dans trois études de cas relatant les différentes formes d’institutionnalisation de l’innovation pour les pouvoirs publics.
Juan Fernando Álvarez, Miguel Gordo Granados et Hernando Zabala Salazar analysent, dans le dernier chapitre de la troisième partie, « L’organisation institutionnelle de la santé en Colombie et sa déconnexion avec le bien commun et la mutualité ». Ils étudient la fourniture de services de santé en soulignant l’orientation marchande donnée par le cadre juridique, en en précisant les effets sur l’intérêt général par une tendance à la détérioration de la prestation de services. Ils soulignent ainsi, d’un point de vue institutionnel, les inefficacités de la gouvernance, les décalages qui en résultent en termes de production de biens communs et les désincitations à la mise en œuvre d’un service optimal. Un mode d’organisation reposant sur les associations et mutuelles servirait mieux l’intérêt général dans ce contexte. La logique de monopole qui est celle du capital laisse trop peu d’espace aux organisations de l’économie sociale. Dans un cadre institutionnel approprié, les associations mutualistes pourraient mettre en place des arrangements institutionnels visant à atténuer les effets de la marchandisation des services de santé, remédier à l’unicité organisationnelle de forme capitaliste, et améliorer les relations entre instances publiques et citoyens.
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La quatrième et dernière partie de ce livre compte trois chapitres consacrés à l’importante question des transformations des modes de gouvernance multi-acteurs résultant des nouvelles coopérations.
Dans son chapitre intitulé « Gouvernance multipartite des communs, une approche pragmatique », Alexandrine Lapoutte traite des communs en tant que forme d’organisation devant composer avec les différentes logiques d’acteurs variés dans le cadre d’une gouvernance horizontale. Après avoir précisé les principales caractéristiques du pragmatisme, et en particulier le concept de communauté d’apprentissage, sa contribution théorique souligne la pertinence de cette approche pour comprendre la gouvernance des communs et le changement de paradigme que l’on observe dans le cadre de la coopération entre économie publique et économie sociale pour le développement de biens publics et de communs. La bonne gouvernance des communs procède de l’existence de dispositifs de résolution de problèmes par la discussion. Les communs sont ainsi perçus en tant qu’organisations hybrides et de voie prometteuse en termes d’organisation pour gérer des conflits internes fussent-ils intenses. Un point de vue pragmatique permet de surmonter les difficultés par le traitement collectif d’un problème, en le définissant et le résolvant par l’apprentissage collectif. Par-delà l’approche contractuelle, cela permet aussi de renouveler les fondements de la théorie des parties prenantes en proposant de prendre en compte l’expérience et l’interaction sociale.
Dans le chapitre suivant, Jean-Claude Boual et Cathy Zadra-Veil analysent les transformations des modes de gouvernance avec « Les nouvelles organisations hybrides de l’économie sociale et solidaire en France ». Une nouvelle forme d’entreprises, ni privée ni publique, a ainsi émergé en France en 2001 : les coopératives de sociétés d’intérêt collectif. Elles relèvent d’un modèle coopératif qui permet à divers actionnaires de produire ou de fournir des biens ou des services dans l’intérêt de la communauté. Ces organisations hybrides rassemblent ainsi de multiples acteurs économiques d’un territoire. D’autres formes d’entreprises d’économie mixte (semi-publiques) ont également émergé en 2014, modifiant les frontières traditionnelles séparant les acteurs économiques. Une de ces innovations est le « Living Lab ». Il procède de la logique de l’écosystème d’innovation ouverte centré sur l’utilisateur, fondé sur une conception systématique de cocréation, intégrant des processus de recherche et d’innovation dans des communautés et environnements réels. Il s’agit d’intermédiaires entre citoyens, organismes de recherche, entreprises, villes et régions qui permettent de cocréer de la valeur, de procéder à un prototypage ou une validation rapide pour développer l’innovation et l’activité productive.
Le dernier chapitre de l’ouvrage, de Pierre Bauby, traite des « Conditions de convergence entre les organisations de l’économie publique et de l’économie sociale ». Dans une perspective de science politique, l’auteur considère les deux modes d’organisation et de fonctionnement de l’économie publique et de l’économie sociale pour spécifier les convergences possibles qui existent en eux et qui sont de nature à satisfaire les besoins sociétaux du 21ème siècle. Rappelant les caractéristiques de base de l’économie publique et de l’économie sociale, leurs histoires et leurs relations, il analyse ainsi les conditions d’une hybridation réussie de leur action, en particulier par le déploiement d’une gouvernance participative. Cette dernière peut prendre, d’un pays à l’autre, des formes différentes : réunions publiques de conseils locaux, référendums, expression en ligne, réunions publiques… Pour atteindre les objectifs attendus, elle nécessite partout des consultations, des débats, l’expression populaire des besoins, le traitement des plaintes, l’élection de comités d’usagers et des moyens numériques.

Références bibliographiques

BALLET, J. « Propriété, biens publics mondiaux, bien(s) commun(s) : Une lecture des concepts économiques », Développement durable et territoires [En ligne], Dossier 10 | 2008, mis en ligne le 07 mars 2008, consulté le 15 novembre 2017. URL: http://developpementdurable.revues.org/5553.
CORIAT, B. (dir.), Le retour des communs, La crise de l’idéologie propriétaire, Paris, Les liens qui libèrent, 2015.
CIRIEC, MONNIER, L., THIRY, B. (dir.), Mutations structurelles et intérêt général, Paris, De Boeck, 1997.
CIRIEC, ENJOLRAS, B. (dir.), Gouvernance et intérêt général dans les services sociaux de santé, Collection CIRIEC « Economie sociale & Economie publique », n° 1, Bruxelles, Peter Lang, 2008.
KAUL, I., GRUNBERG, I., STERN, M.A., Global public goods: International cooperation in the 21st century, Oxford University Press, 1999.
OSTROM, E., Governing the Commons: The Evolution of Institutions for Collective Action, NY, Cambridge University Press, 1990.
SEN, A., Commodities and Capabilities, North-Holland, 1985.
THOYER, S., La montée en puissance de la notion de bien public mondial, Encyclopédie du développement durable, Association 4D, 2011 http://encyclopedie-dd.org/encyclopedie/gouvernance/la-montee-en-puissance-de-la.html

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