Newsletter #27

L’alliance des patrons de la Big Tech à Trump témoigne de la montée techno-réactionnaire. Il s’agit non seulement de l’alignement des GAFAM sur les idées réactionnaires (assouplissement des politiques de modération, fin du fact-checking chez Meta, fin des programmes de diversité), mais aussi de la sape systématique des remparts démocratiques menée à l’intérieur de l’administration par le DOGE quand il était piloté par Musk. C’est ce qui est arrivé à l’application américaine CBP one, qui illustre les risques du décloisonnement des données publiques. Conçue pour que les demandeurs d’asile puissent obtenir un titre de séjour, la police et les services de sécurité ont désormais accès à ces données. L’interconnexion avec les données des réseaux sociaux se fait alors pour identifier des personnes désignées comme « problématiques ». Comme le souligne Hubert Guillaud, le glissement de finalité vers de la surveillance est inscrit dans le numérique. Par ailleurs, les acteurs qui incarnent les libertés et démocraties numériques, comme Wikimedia, sont menacés : très concrètement, l’administration Trump, par le biais d’une lettre d’un procureur, veut remettre en cause le statut de « non-profit » de la Wikimedia Foundation. 

Il ne faudrait pas croire que ce qui se passe aux Etats-Unis est lointain. L’utilisation par les organismes sociaux, notamment la CAF, d’algorithmes à des fins de contrôle social est dénoncée par des associations. Rappelons-nous aussi des débats à propos des applications de traçage numérique lors de la crise du COVID-19 en France et des glissements possibles de leur utilisation. Il nous faut repenser nos usages et notre niveau de protection des bases de données. La technologie n’est pas quelque chose en plus des services que fournissent nos organisations, gouvernementales ou du privé, mais elle les structure. 

Pour autant, le sursaut des pays membres de l’Union Européenne qui appellent à la souveraineté numérique et les propositions politiques afférentes comme l’Eurostack (soit créer une infrastructure numérique européenne et souveraine et réduire les dépendances aux technologies principalement américaines et chinoises) peuvent constituer une opportunité pour les communs numériques. Leur ADN est compatible avec ces propositions, qui pourraient leur apporter un soutien financier essentiel. Ceci ne sera le cas qu’à condition que la priorité des gouvernements ne soit pas à l’investissement dans des champions nationaux qui calqueraient le modèle des GAFAM mais que le projet démocratique au coeur des communs et leur robustesse soit mis en avant.  

Le 1er juillet dernier, La Coop des Communs, avec l’aide de Wikimédia France, Open Source Politics, Inno3 et le Social Good Accelerator, a réuni une cinquantaine d’acteurs français (et européens) qui portent ou soutiennent des communs numériques à Paris. Depuis près de deux ans, La Coop des Communs travaille à poser des jalons à un nécessaire travail de coalition que tout le monde souhaite et nous a encouragé à endosser ce rôle. L’articulation entre niveaux national et européen était au coeur de deux ateliers : l’un sur les mobilisations politiques actuelles auprès de l’UE, les espaces et leviers d’actions possible, l’autre sur les possibilités de « hacker » le droit européen pour mieux financer les communs. La relation avec les acteurs publics via des dispositifs comme les appels à commun et leur effet sur les communautés soutenues a aussi été au coeur des réflexions. Enfin, les 40 degrés au thermostat ce jour-là nous ont rappelé l’importance de réfléchir à la matérialité du numérique et aux choix à opérer face à l’injonction à la sobriété énergétique. Les efforts se poursuivent : d’autres temps de rencontres sont au calendrier et nous cherchons à financer collectivement ce travail de coalition, tout en veillant à ne pas isoler les communs numériques des autres formes de communs, naturels ou sociaux. 

Vera Vidal