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Cet article correspond à la prise de notes collective de la conférence “Réformer la protection sociale pour l’améliorer dans le sens d’un droit commun”, organisée par La Coop des Communs le 18 Septembre 2018 de 17h à 20h, à la Paillasse / Maison du libre et des Communs (localisée au 226 rue Saint-Denis 75002 Paris).

Il s’agissait de la présentation de la brochure produite par le groupe de recherche collaborative Protection sociale, ESS et Communs. 

Télécharger la brochure et ses textes

La séance a été filmée partiellement : Lien vers la video. Enfin, les notes ont été prises au cours du débat et peuvent ne pas retranscrire dans toute leur précision la pensée des orateurs. Ceux-ci sont sollicités pour valider leur présentation.

Rappel du programme

Les débats étaient animés par Sarah de Heusch (SMart).

Première séquence

  • Une expérience de recherche particulière : éléments sur la méthode de travail du groupe, intérêts et limites (Jean-Claude Barbier)
  • La protection sociale et sa réforme : une réflexion critique nécessaire (Henry Noguès)

Deuxième séquence

  • Le rapport entre protection sociale et avenir du travail et de l’emploi : Salariat et autres formes d’activité ; allocation universelle et accès aux services collectifs. (Jean-Claude Barbier et Nicole Alix)

Troisième séquence

  • La protection sociale et le mouvement des communs : quel renouvellement possible des conceptions, des pratiques et des perspectives ? (Frédéric Sultan)

 

I – RÉSUMES ÉCRITS DES INTERVENTIONS PRÉPARÉS PAR LES INTERVENANTS

1 – Une expérience de recherche particulière : éléments sur la méthode de travail du groupe, intérêts et limites : Jean-Claude Barbier (Université Paris 1 Panthéon Sorbonne)

L’objet du texte « marchés du travail et prospective de l’emploi » est de faire le point sur l’évolution du marché du travail en France pendant les 30 dernières années et sur ses évolutions à horizon de 2030. Il s’agit en complément de caractériser le projet d’allocation universelle, souvent présenté comme nécessaire en raison de ces évolutions

Marchés du travail et prospective de l’emploi

Raréfaction et transformation de l’emploi. Générale en Europe depuis 30 ans, la raréfaction du travail et de l’emploi touche en France particulièrement les jeunes et les personnes les moins qualifiées. La reprise récente de la création d’emplois est restée faible. Inévitablement, les facteurs d’inégalité et de segmentation des marchés du travail sont au centre de la dynamique française, marquée aussi par un dynamisme démographique bien supérieur à celui de l’Allemagne et de ses principaux voisins.

Salariat, rapport salarial. Ayant examiné les principales études disponibles, le groupe pense que le rôle structurant du rapport salarial est toujours possible en France, ce qui permet de soutenir le système de protection sociale pour l’avenir. Le travail non salarié est resté dans la moyenne européenne et n’a pas beaucoup bougé en proportion depuis 20 ans (après plusieurs décennies de baisse, l’effectif a commencé toutefois à croître très lentement depuis 10 ans). Le salariat est marqué par une domination persistante du CDI, que ce soit dans le secteur privé ou le secteur public. 80%-85% des entrants en CDD et autres contrats « atypiques » finissent par être intégrés au bout d’une période initiale inférieure à 10 ans. À 33 ans, par exemple, sur une cohorte de salariés, 85% sont en CDI, le reste se divisant en une majorité de CDD et quelques points de pourcentage en intérim. La période de transition vers un emploi durable s’est toutefois significativement allongée pour les générations les plus récentes. Toutefois, depuis quelques années, la question des CDD ne peut être considérée comme « stabilisée » en France (en raison de l’accroissement de la part des CDD de très courte durée (moins d’un mois). Des raisons sérieuses plaident en somme pour des contrats salariaux majoritairement stables, même si des phénomènes de précarisation se manifestent en parallèle.

Précarité et politiques de régulation de l’emploi. La précarité de l’emploi, bien présente (avec la dualisation entre emploi considéré comme précaire et emploi considéré comme non précaire) n’est jamais devenue le phénomène massif qu’on redoutait au moment où les emplois en CDD et instables augmentaient fortement, à la fin des années 1980. Aucune donnée prospective à ce stade ne permet de penser que cette précarité serait destinée à augmenter très vite et massivement, d’une façon structurelle et déterministe : elle dépend plutôt de choix politiques largement ouverts.

D’autres phénomènes à surveiller à l’horizon 2027-2032 : l’instabilité croissante des situations individuelles sur le marché du travail; la diffusion plus large de l’expérience du chômage et de sa récurrence dans les générations nées après 1960. En outre, la multiplication des stratégies de contournement du statut salarié, à l’initiative le plus souvent des donneurs d’ordre (pour des raisons socio-fiscales, frauduleuses ou légales), mais parfois aussi, par les travailleurs eux-mêmes, conduit à des défauts de protection sociale pour un nombre relativement faible mais croissant d’actifs (statuts émergents, multi-activités et faux indépendants).

Deux incertitudes majeures. Dans la phase actuelle de la transformation informatique (dénommée « numérique » ou « digitale »), plusieurs évolutions puissantes se conjuguent : développement de l’intelligence artificielle, robotique, usage des algorithmes et des bases de données dites « big-data », plateformes numériques – dont les plateformes d’emploi – type Uber, affectation générale de l’ensemble des métiers. Ce mouvement, plus étendu et plus rapide, n’est toutefois qu’une étape de la transformation technologique que les études économiques connaissent bien depuis la révolte des Luddites : destruction d’emplois et création d’emplois sur une durée difficile à prévoir.

On parle de « disruption ». Face à cette dernière, l’expertise des statisticiens, des économistes et des sociologues est prise en défaut, par manque de données. La reconnaissance du fait majeur, pour l’expertise et les scientifiques, doit demeurer celle de l’incertitude, qui plaide pour différer une prospective dont les méthodes sont elles-mêmes incertaines. Les conséquences mesurables en 2017 de la diffusion accélérée de l’informatique dans le travail et la société seront relativement modérées en matière de nombres d’emplois à l’horizon de 10-15 ans, alors même que le travail lui-même, son organisation et ses conditions n’ont en fait que commencé à être influencés. Ces deux conclusions prudentes doivent être situées dans la lignée des enseignements de 30 ans de sociologie du travail concernant le « déterminisme » technologique.
Il y a cependant un domaine des marchés du travail dont les études actuelles ont identifié le potentiel de ravage : les plateformes (lucratives) d’emploi, un domaine suivi de près par les syndicats internationaux et nationaux. Les auteurs identifient la naissance et l’installation d’une catégorie de « galériens » dépourvus de droits sociaux, transformés en faux indépendants, aux bas-salaires et sans protection sociale décente.

Allocation universelle

Chimères et limites de l’existant. Alors même que l’allocation universelle a une longue histoire qui remonte au 16è siècle et, tout spécialement à Juan Luis Vives, qui est bien connu des spécialistes de la protection sociale, on ne connaît jusqu’à 2018 que des essais et des expériences partielles, souvent locales et sans lendemain, en matière de revenu universel de base. Pour autant, l’absence de réalisation conséquente ne s’est jamais pour l’AU révélée un frein à l’intérêt renouvelé qu’elle suscite. Si on peut toujours la considérer comme une chimère, le rêve qu’elle entretient est familier à beaucoup, et les espoirs qu’elle suscite témoignent de l’insuffisance manifeste des systèmes de protection sociale à combler les besoins et les aspirations de tous les citoyens.

Ce n’est pas une solution faisable pour des raisons de coût, bien établies ; ce n’est pas non plus une solution faisable pour supprimer la pauvreté. Surtout, c’est une erreur si elle est conçue comme accompagnant la disparition du travail et de l’emploi. La popularité de la « solution » s’explique par des raisons sociales qui n’ont rien à voir avec la rationalité de la réforme, laquelle est en fait une solution de rationalisation libérale vers le bas de la protection sociale. C’est pourquoi l’impossible financement d’une prestation véritablement universelle d’un niveau décent ne doit pas empêcher d’envisager les effets destructeurs potentiels de l’engagement même d’une démarche «révolutionnaire» sur l’ensemble d’un système de protection sociale.

Réformes plus modestes et réalistes. Il serait raisonnable de convertir la mobilisation vers des réformes plus modestes, plus résolues, plus responsables, plus efficaces et moins dangereuses, mais aussi mieux articulées à l’activité économique et écologique. Par exemple, outre l’engagement d’une réforme fiscale de toute façon désormais inévitable, la revalorisation des minima sociaux existants pour atteindre à terme le seuil de pauvreté, la mise en place d’une allocation familiale même pour un seul enfant à charge, l’abandon dans les discours politiques des représentations idéologiques stigmatisant des populations pauvres et visant à les diviser, la persévérance des efforts d’accompagnement des personnes vers l’émancipation, l’extension des droits sociaux à l’ensemble des actifs salariés comme indépendants, le partage équitable des contributions non seulement pour financer une protection sociale réformée mais également pour favoriser l’emploi et donc la compétitivité nationale, la réorientation des activités humaines pour prendre en compte la nécessité de la transition écologiques, etc. La liste est longue, et pourtant encore non exhaustive, des mesures susceptibles d’être entreprises pour améliorer le système national de protection sociale.

Au demeurant, la réforme de la protection sociale est un mouvement constant depuis plus de 20 ans en France et la question clé est la façon dont les citoyens parviennent à en sauvegarder, face à ses ennemis nombreux, les bénéfices pour la collectivité tout en poursuivant leur améliorations pour faire face aux situations nouvelles et faire régresser les inégalités inhérentes à la dynamique de l’économie marchande dominante, inégalités qui obèrent gravement le potentiel de développement économique durable. Avocats et critiques de l’allocation universelle peuvent se retrouver d’accord sur le fait que, sans se laisser tenter par des chimères on peut améliorer la justice et l’équité du système de protection sociale tel qu’il est.

2 – La protection sociale en France, une macro-institution en réforme permanente – perspectives du point de vue de l’ESS et des communs Henry Noguès (Université Nantes)

L’objet du texte « La protection sociale en France, une macro-institution en réforme permanente – perspectives du point de vue de l’ESS et des communs » est de préciser le contenu essentiel du système français de protection sociale en montrant qu’il n’a cessé de se transformer, en mettant en évidence les tensions qu’il subit actuellement et en ouvrant des perspectives d’évolution en relation avec l’ESS et les communs.

La protection sociale est une macro-institution centrale au cœur des sociétés développées contemporaines. C’est un macro-système de médiations entre les sphères domestique, économique et politique qui vise à réaliser une double protection : celle des personnes afin de leur assurer une qualité de vie satisfaisante et celle de la société contre les risques de désintégration sociale. C’est un enjeu majeur pour les citoyens de comprendre ce qu’est la protection sociale pour favoriser ainsi une implication des « usagers/bénéficiaires/participants » à la définition des besoins et des attentes.

Historiquement, elle est toujours apparue dans un cadre national comme une tentative de réponse aux carences et aux désordres d’un régime économique capitaliste et marchand. A cette fin, résultant de rapports de force et/ou de programmes et d’expérimentations progressistes, elle a progressivement couvert l’ensemble des travailleurs et s’est ajoutée aux solidarités régionales, locales, communautaires et familiales qu’elle complète et parfois remplace. C’est donc un héritage national inscrit dans des règles de droit (du travail, de la sécurité sociale) en permanence transformées, complétées et réformées en fonction des contextes, des nouveaux risques sociaux et des choix politiques.

Son mode de fonctionnement s’appuie sur l’attribution aux personnes (ayants-droit) de prestations : soit en nature sous la forme d’un accès gratuit ou plus ou moins subsidié à la réponse à des besoins précis des personnes (conception large incluant l’éducation, la prévention) ; soit en espèces sous la forme d’une garantie de revenu monétaire permettant des consommations marchandes choisies par les personnes (revenu de remplacement, minima sociaux). De ce fait, elle apparaît comme un système de contributions-prestations organisant une vaste redistribution économique.

Les résultats concrets du fonctionnement du SNPS français sur le terrain de la pauvreté sont réels. Le taux de pauvreté est réduit (de 22% à 13,6%) soit en-dessous de la moyenne européenne (17,3% en 2015). L’intensité résiduelle de la pauvreté est aussi plus faible puisqu’une augmentation moyenne de 17% du seuil de pauvreté (soit environ 19 Milliards d’euros annuel) suffirait pour l’atteindre contre 25% en Europe. La moitié des revenus des 10% les plus pauvres proviennent des allocations sociales non contributives alors que cette part ne représente que 5% pour la moitié la plus riche. Ainsi, l’inégalité est partiellement contenue. S’en prendre aux allocations aurait certainement de lourdes conséquences sociales. Pour autant, le SNPS pourrait mieux fonctionner et être moins inégalitaire.

Aujourd’hui, les systèmes nationaux de protection sociale (SNPS), fragmentés et inégalitaires du fait de leur construction historique, n’ont pas toujours un caractère universel. La transformation du capitalisme, les mutations du travail, le vieillissement démographique et la catastrophe environnementale et climatique mondiale en cours les mettent de plus en plus sous forte tension. Ils subissent également les effets de décisions politiques prises en matière internationale au niveau monétaire, financier et commercial qui les fragilisent. Leur réforme pour assurer leur pérennité et pour les améliorer demeure toujours aussi nécessaire.

En toile de fond un arbitrage politique fondamental oppose ceux qui souhaitent réduire le SNPS à un instrument de lutte contre la pauvreté et ceux qui l’envisagent comme un instrument de démocratisation des progrès sociaux. Dans le premier cas, une focalisation de type filet de sécurité pour les plus pauvres suffit ; dans le second cas, un accès universel à des prestations de haut niveau devient une ambition exigeante. L’espace qu’il convient de laisser au jeu des intérêts et du marché n’est pas le même dans les deux scenarii et les options actuelles de l’Union Européenne ne sont pas neutres. Les membres du groupe se retrouvent sur le choix de la seconde option.

L’ambition d’un idéal universel sous la forme d’un système commun ouvert à tous les membres de la société, financé collectivement et offrant à tous la même qualité de service, oriente le sens des réformes à promouvoir. Inassimilable à une collection de programmes fonctionnels et sectoriels, la protection sociale suppose une vision d’ensemble. A ce titre, elle peut être envisagée comme un “commun national” propre à satisfaire aux besoins et aux droits des nationaux et résidents sur le sol français et être enrichie par la démarche politique des communs. Dans un système où coexistent des segments corporatistes (des « communs » des corporations) et des mécanismes de compensation limitant les inégalités entre les segments, il convient d’amplifier la convergence vers une protection de droit commun de qualité.

Ainsi, la réforme doit viser à intégrer au fur et à mesure tous les nouveaux « statuts » d’activité plutôt que d’organiser en “silos” de nouvelles formes de protection adaptées à ces statuts. De même, dans l’articulation entre les différents niveaux de solidarité, le mouvement des communs mais aussi les associations et les mutuelles, source de modes d’action concrets, apportent une contribution à l’expérimentation d’innovations sociales. Enfin, la gouvernance politique du SNPS devra être plus participative et engagée. Dans un tel contexte, comment les expériences et les réalisations au sein du mouvement mutualiste sont susceptibles de participer à cette évolution de la protection sociale ?
Tels sont les principaux enjeux des débats ouverts par les différentes notes produites par le groupe.

3 – Allocation universelle et accès aux services collectifs : Nicole Alix (La Coop des Communs)

L’allocation universelle est par définition individuelle, libre à chacun de l’utiliser comme bon lui semble. Va-t-elle permettre de mieux accéder à la protection sociale, sous toutes les formes que revêt celle-ci , y compris les services collectifs comme les hôpitaux, les maisons de retraite, etc… ? Services collectifs qui sont gérés soit par des administrations publiques, par des organisations commerciales ou par des organisations non lucratives comme les mutuelles, les associations. Nous pensons que l’instauration d’une AU n’est pas neutre au regard de l’accès de tous aux services collectifs pour tous.

Prestations en nature, services collectifs (ou services d’intérêt général)

[Cf. note de base] Parmi les prestations de protection sociale, on distingue les prestations en nature et les prestations monétaires. Les prestations en nature protègent différemment, en répondant à des besoins sociaux concrets : hôpitaux, place en crèche ou à l’école, en maison de retraite, hébergement d’urgence, logement social…. Ici, «protéger » veut dire garantir l’accès à ces prestations en nature indépendamment du pouvoir d’achat, ce qui revient à les financer collectivement, entièrement ou en grande partie afin de diminuer le reste à charge.

Selon les pays européens, certains services sont gratuits tandis que d’autres restent payants en partie ou dans leur totalité, et chacun accède au “marché des biens et services subsidiés” selon son pouvoir d’achat individuel. Dans ce domaine, un idéal de « protection sociale universelle » pourrait être : des services pour tous ouverts à tous, financés collectivement et offrant la même qualité de service à tous quel que soit l’opérateur (public, associatif, lucratif…). Pas les hospices ou les services d’urgence pour les pauvres et la qualité pour les riches ou service de base “filet de sécurité” offrant une qualité inférieure à celle des services payants.

Vision de la protection sociale attachée au revenu universel

Ainsi, trois conceptions sont possibles :

  • un système fondé sur l’idée que les individus ont tous les mêmes opportunités grâce à l’allocation universelle qui leur ouvre l’accès aux autres prestations ou autres services (soins, l’éducation) ; ceux-ci peuvent donc devenir payants et rendus par tout type d’opérateurs ; dans ce cas, c’est la privatisation totale de la protection sociale qui se réduit au versement de la seule allocation universelle.
  • un autre fondé sur l’existence d’un filet de protection sociale “de base” venant compléter l’AU, le reste du système pour une protection meilleure relevant de l’assurance privée et volontaire. Cela revient à un schéma comme : des hospices ou les services d’urgence pour les pauvres et la qualité pour les riches ; ou service de base comme “filet de sécurité” offrant une qualité inférieure à celle des services payants.
  • un autre fondé sur l’accès de tous aux services collectifs de protection sociale pour tous. Dans cette hypothèse l’AU vient compléter un système de protection sociale collective de haut niveau.

C’est bien entendu cette troisième option qui paraît correspondre aux aspirations solidaires de la protection sociale vue du point de vue de l’ESS et des communs.

Ce scénario semble peu vraisemblable si l’on en juge par les évolutions récentes orientées vers une marchandisation accrue. En effet, les quarante dernières années ont vu petit à petit les aides à la personne se substituer aux aides aux structures. La raison invoquée est de permettre un choix rationnel et éclairé de la part du consommateur de soins et d’action sociale entre les différentes catégories d’offres, lucrative, non lucrative et publique. On a aussi évoqué l’opportunité d’ouvrir le marché aux structures commerciales lucratives, censées plus efficaces que les structures non lucratives et publiques.

Le développement des aides à la personne – en logement, en aide à domicile- a remis en cause certains financements collectifs -aux HLM, aux services à domicile non lucratifs- et ainsi permis la création/l’extension d’un marché des services sociaux 1 en ouvrant à la concurrence des champs autrefois réservés au secteur public ou aux associations et mutuelles (notamment dans le secteur de l’aide à domicile, de l’hébergement des personnes âgées et des différents modes de garde de la petite enfance).

L’allocation universelle et le risque d’un affaiblissement de la solidarité collective

Le premier scénario cité ci-dessus ne peut être exclu. En effet, si on veut une prestation universelle d’un niveau décent, deux risques :

  • qu’elle constitue un « versement pour solde de tout compte » éteignant les autres formes de solidarité collective compensant le handicap, l’exclusion sociale, la maladie grave, etc…
  • qu’elle entraîne du coup un transfert massif de la sécurité sociale vers les opérateurs de marché.

Ainsi, la solidarité étant assurée par cette seule allocation, une société d’individus prétendument «libres » renvoyés seulement aux marchés serait imaginable. L’AU peut être un « cheval de Troie » ouvrant la voie à une véritable implosion du système national de protection sociale, à un recul significatif des services collectifs et donc comme un levier de promotion d’une société de marché.

Est-ce que ces risques peuvent être compensés par une diminution du non-recours ?

Une allocation universelle automatique (non quérable) est censée atteindre plus facilement les personnes éligibles à des allocations et qui y renoncent du fait du caractère stigmatisant, voire humiliant des dispositifs d’aide et à la complexité des règles d’attribution.

Mais le risque est patent que les contributeurs nets remettent en cause le caractère inconditionnel de l’AU en l’absence d’un système d’incitations et/ou de contrôle social quant aux pratiques des bénéficiaires nets. C’est l’histoire du RSA et des contreparties qu’on attend des bénéficiaires. Et d’ailleurs, comment penser qu’un bénéficiaire de AU aura plus de chance de défendre son revenu dans un  monde dominé par des GAFA qui  ne payent plus l’impôt mais redistribuent une partie des profits en fonction de leurs “choix philanthropiques” qu’actuellement un salarié précaire sur le marché du travail ?

Ce constat invite à réexaminer la question de l’AU en l’ouvrant à l’ensemble des dispositions permettant un réel accès aux services collectifs. Autrement dit c’est à une amélioration du fonctionnement du système de protection sociale qu’il convient de s’attacher.

Communs et accès aux services collectifs, du point de vue des “communs”

Comment le versement individuel d’une allocation serait-elle compatible avec un accès à des services collectifs de protection sociale ? comment pourrait-il favoriser une action en communs en vue d’une protection sociale renouvelée ?

  • Tout d’abord son financement ne vide pas les sources de financement collectif actuelles pour les organismes sans but lucratif qui assurent la production de liens sociaux
  • Il faudrait ensuite que, en tant qu’allocataire d’un revenu universel, déconnecté du travail, chacun s’applique à faire société avec les autres (et non pas « échapper au salariat pour devenir moi-même » 2 …) : par exemple penser que chacun utilisera son temps libéré (si on devait travailler moins) ou ses ressources améliorées (à supposer) pour développer des actions collectives (accompagnement des personnes âgées, des personnes fragiles…). Peut-on y croire ? en tous cas ce n’est qu’ainsi qu’on peut réfléchir à une transformation (du moins partielle) de certains services publics en services gérés en communs, grâce à une reconnaissance claire de la participation des citoyens aux communs.
  • on flèche les revenus vers la transition : il existe des propositions alternatives (comme le revenu de transition écologique) qui ne découplent pas l’activité et les revenus, mais orientent les personnes dans des activités innovantes, liées à la transition écologique et au renforcement de la cohésion sociale.

Dans les perspectives, l’affaiblissement des systèmes collectifs de protection sociale est une impasse mais pour leur amélioration des réformes sont nécessaires. C’est pourquoi, il faut expérimenter mais quoi ? L’augmentation des minima sociaux portés au moins au seuil de pauvreté et leur légitimation dans les représentations collectives est une piste. La meilleure solvabilisation de certaines activités dans les « activités innovantes liées à la transition écologique et au renforcement de la cohésion sociale » ou complémentaires de la solidarité collective en est une autre. Enfin, l’exercice de services collectifs gérés en communs constitue une autre voie dont l’exploration peut être féconde pour permettre des modes de participation plus impliquant pour les citoyens.

4 – Communs et protection sociale : Frédéric Sultan

Lecture du texte sur le site Remix The Communs


II – PRISE DE NOTES LORS DES PRESENTATIONS ET QUESTIONS DE LA SALLE

1ère séquence – Intervention de Jean-Claude Barbier. Note-mère : Marchés du travail | Allocation universelle | Protection sociale et communs.

Que peuvent faire ensemble des “acteurs” et des “chercheurs” ? Dans le groupe « Protection sociale, ESS et communs », des gens étaient intéressés par les communs, d’autres par la protection sociale. Au final, un travail collaboratif a été mis en oeuvre au sein de l’association La Coop des Communs qui a édité une brochure qu’on trouve sur son site.

La protection sociale est en réforme permanente (pour le meilleur ou pour le pire). Elle est venue compléter et/ou remplacer des formes de solidarité (sociales et communautaires) en fixant des règles de droit (social, travail, etc.). L’accès à l’éducation fait partie de la protection sociale.

La protection sociale est le seul instrument de lutte contre la pauvreté. Elle fait bénéficier à tous des avancées sociales. A noter que le taux de pauvreté est à 13,6 vs 17 en UE (en 2015). La pauvreté est moins intense en France. Pour amener les minimas sociaux au niveau du seuil de pauvreté il faut 20 milliards d’euros.

Le système est loin d’être parfait, il faut donc le réformer. Néanmoins, les réformes portées aujourd’hui visent à créer autre chose que de la sécurité sociale… Les effets du capitalisme mettent en tension le système national de protection sociale. De plus on ne peut plus dévaluer la monnaie et donc les écarts de productivité ont un impact immédiat ; l’UE n’est pas neutre.

Dans les 2 scénarios, l’espace laissé au marché n’est pas le même. C’est aujourd’hui la 1ère option qui est portée par les “forces en places”. Nous souhaitons faire avancer la réflexion vers la 2nde.

La Sécu est un système global et un projet de société. A ce titre, c’est un commun national propre à satisfaire les besoins des résidents nationaux. Peut être peut-on le gérer autrement que d’une manière technocratique. C’est d’autant plus important qu’il y a aujourd’hui des corporatismes entre branches. La réforme doit intégrer tous les statuts plutôt que de créer des silos. Enfin la gouvernance du système peut être plus participative et engagée.

On aurait aimé avancer sur une note concernant les mutuelles (en gestation). Les mutuelles ont une expérience et des capacités qui peuvent favoriser une participation des citoyens.

Questions & discussion

Bernard Friot, socialogue et économiste : le coût de gestion de la Sécu est loin de 6%, c’est infiniment plus performant que les entreprises capitalistes.

Le dispositif est plus homogène : la moitié au régime général. La compensation fait que le dispositif est largement interprofessionnel ; les indépendants sont financés par la fonction publique.

La capacité de construire un dispositif interprofessionnel n’a certes pas abouti mais il est très avancé. Moins optimiste envers les mutuelles surtout pour la gestion. Mutuelle 29 milliards pour 11 milliards de coût de gestion. Régime général : 320 milliards pour 11 milliards de gestion.

Réponse : la fragmentation est utilisée pour fragiliser politiquement le système.
Différence entre les mutuelles des livres 2 et du livre 3. Celles du livre 3 restent des sources d’innovation de gouvernance et sociale. Celles du livre 2 par contre sont plus complexes à aborder.

Yvon Rastetter, Pacte civique, La Coop des Communs: cite le livre « La société de défiance » qui approche l’intérêt idéologique des Français pour le corporatisme.

Réponse : pas très convaincu de la méthode des collègues économistes que je considère comme peu convaincants; ce n’est pas avec des indicateurs quantitatifs que l’on explique la confiance. Ca ne veut pas dire que la France soit une société de confiance, mais on est des défenseurs de la légitimité de la protection sociale. Le jugement sur la protection sociale sont divisés selon les couches sociales, les classes d’âge, les différences territoriale. Il y a un jugement global de légitimation de la protection sociale (cf. Sécu en GB qui est très populaire). Il y a une question de division quant à la légitimité. Mais il y a un consensus très élevé chez les jeunes (contrairement au idées reçues). Quand on fait les enquêtes, les jeunes plébiscitent la sécu d’autant plus dans les statuts “précaires et émergents”.

Christine Chognot (UNIOPSS) : un peu étonnée que la présentation n’aborde pas la politique et la discussion sur l’avenir de la protection sociale. Est ce une idée reçue sur la marquage idéolgique sur la pertinence de la Sécu ?

Réponse : La question politique a à voir les bêtises des libéraux. La politique de l’UE est contraire à la protection sociale. Il y a des acteurs qui jouent ce rôle (néo libéraux autour du pacte des années 70 pour justement maîtriser en détruisant la protection sociale). Nos propositions sont à l’inverse en faveur d’une protection sociale de droit commun. Mais il n’y a pas que des questions politiques, la “méchanceté” néolibérale, il y a des contraintes matérielles et économiques. Le vieillissement est difficile à gérer et il y a des arbitrages à faire. Ces contraintes de “rareté” ne sont pas entièrement idéologique. Sur le retraite et le chômage aussi

On peut émettre l’hypothèse que le débat citoyen est rendu difficile. La mise en scène y est pour beaucoup et c’est là où se jouent des images idéologiques. Voir le prélèvement obligatoire comme  du salaire différé a permis de rester dans le domaine du travail. Mais il faut tenir compte des contraintes économiques ou dégager des ressources économiques pour obtenir les contributions. Ce que les gens soutiennent,  mais la connexion avec les implications politiques se fait plus difficilement, du fait de flou médiatique et politique. Il faut reconquérir la manière dont on se représente les choses.

Benjamin Coriat : Je suis de ceux qui pense que le système de protection sociale est extrêmement performant pour les salariés (histoire du salariat et sécu liée). Compte tenu des statuts précaires et du travail indépendant et de ce dont on a besoin pour le développement des communs, comment le système peut-il être élargi et amélioré pour s’adapter aux dynamiques des communs et peut s’ appuyer sur le salariat. Creuser l’hypothèse de nouveaux droits du travail fondé sur l’utilité sociale et une valeur sociale des autres activités, c’est la vraie discussion qu’il faut avoir à La Coop des Communs.

2ème séquence – Intervention de Jean-Claude Barbier

Le salariat continue de dominer et d’être l’institution de référence pour le cadre du travail.

La place du travail indépendant est modeste (taux autour de 10% et qui ne bouge pas, contrairement à l’Italie et le Portugal). L’élément qui a bougé est factice, c’est celui des auto-entrepreneurs (plus de 1 million) ; ce n’est pas équivalent au traditionnel travail indépendant.

C’est le salariat qui est le liant de la société. Sur la base des analyses que le groupe a vues, le salariat sera dominant jusqu’en 2030. La disparition du travail est aussi fantaisiste.

Selon un certain nombre de travaux, le CDI allait disparaître. Il n’y a aucune raison déterministe, mais une incertitude sur les contrats courts. C’est une fabrication juridique, non du fait d’une utilisation efficiente de la main d’œuvre, mais du fait que la disposition juridique le permet.

Aujourd’hui en France les statuts émergents (liste dans la note, CAE, auto-entreprise, intermittents) sont en nombre relativement restreint. Ils peuvent être intégrés dans la protection sociale générale (selon les juristes de Nanterre, etc). Il n’est pas utile de créer quelque chose de nouveau, il n’y a pas de contradiction.

On a deux incertitudes : la question sur l’économie (la croissance est-elle une chose du futur compte tenu des enjeux de la transition environnementale) ; des chiffres sur les emplois créés (1 million sur les 5 à 10 ans liés à la transition écologique Ademe) enlèvent une part d’incertitude. La seconde incertitude est celle du numérique (informatisation et emploi). Pourquoi le numérique est-il plus une révolution que l’informatique ? L’étude qui disait que le numérique allait détruire 47% de l’emploi est irréaliste et l’OCDE a corrigé les choses. Maintenant on peut dire que cette terreur organisée sur la perte de l’emploi est fausse empiriquement et méthodologiquement. Le vrai problème c’est le pourcentage des emplois affectés (IA, database, etc). Une majorité des emplois dans les 10-20 années vont être affectés. Que peut faire la politique publique ? Nous on a travaillé jusqu’à 2030, après on ne sait pas.

Sur le revenu universel/de base/etc : cette question a un lien avec la soi-disant disparition du travail ; il faudrait donc une allocation pour remplacer la fin de l’emploi. L’influence de cette idée était très forte et continue de l’être, doublée par une fascination pour l’universel (qui a le vent en poupe ; cf “revenu universel d’activité”). Dans l’histoire, depuis le 16eme siècle, il y a eu des expériences de “revenu universel” mais elles sont restées au stade d’expériences. Il n’y a  jamais eu de mise en oeuvre réelle, sans condition, ce qui est une question clé. Dans toutes les sociétés, il y a une série de prestations complémentaires au reste de la protection sociale, mais le revenu universel, lui, se substitue à la protection sociale.

Questions & discussion

Lionel Maurel (Quadrature du Net, SavoirsCom1) : Partons de l’idée que le salariat est une institution dominante. Même dans cette hypothèse, le sujet n’est pas épuisé. La subordination salariale est dominante dans la société. Pierre-Yves Gomez établit une corrélation entre la financiarisation de l’économie qui enferme dans un carcan managérial et le web aujourd’hui, qui fait passer des gens dans les grands communs numériques. Ces dernières activités ne sont pas réintégrables dans l’emploi classique tant qu’il y a de la subordination. Les communs c’est l’auto-organisation. Ces activités là, qui sont du travail, ne seront pas réintégrables dans l’emploi. Le revenu de base est alors attractif vu que l’on sort de la subordination. La contribution deviendra un droit social à revendiquer comme la reconnaissance d’une activité utile. Un temps de contribution peut ouvrir un droit au temps.

Bernard Friot : conteste l’identification entre salariat et emploi. Les retraités n’ont pas d’emploi mais touchent un salaire. Dans une CAE, la personne  est dans un rapport salarial, mais pas dans la cadre du salariat. Il ne faut pas confondre emploi et salariat. La protection sociale sépare le salaire de l’emploi. Situer cette aspiration -que je partage- à la liberté du travail dans le cadre des institutions du salariat est extrêmement important. Les travailleurs indépendants de la santé sont des salariés mais ne sont pas employés..

Fanélie Carrey-Conte / Enercoop: Il y a deux débats. Celui de la protection sociale de demain qui reste basée sur le statut professionnel. Dans les débats de la protection sociale, la gouvernance est primordiale et pose la question de la place de l’État, qui passe outre la question du financement. Dans tous les cas,  une option ce n’est plus le statut c’est la question de la personne.

Réponse : l’idée de fuir l’emploi est quelque chose qui me choque et je voudrais un élément empirique pour savoir combien de personnes cela concerne. La deuxième question c’est l’idée de passer du statut professionnel à la personne, c’est théorique, dans le sens de irréel. il n’y a pas de protection sociale sans travail, donc quand on a un travail et non pas un emploi, on a un statut professionnel. Ca n’a pas de sens direct de faire une relation entre une personne et la protection sociale. Il n’existe nulle part dans le monde d’exemples de contreparties des droits données à des personnes non définies par leur statut professionnel.

3ème séquence : Allocation universelle et accès aux services collectifs – Nicole Alix

Notre AG a porté tout à l’heure sur la difficulté à partager les apprentissages et les expériences que nous faisons en commun dans La Coop des Communs. Je vis cet échange sur la protection sociale comme un prolongement de nos discussions de l’AG : malgré la quantité de débats autour de ces concepts de la protection sociale, il y a encore des notions qui sont inatteignables, au sens de la compréhension. En tous cas notre groupe Protection sociale, ESS et communs est parti du constat qu’il n’y avait pas de vision de protection sociale associée aux débats sur les nouvelles formes de travail, sur les communs.

Il est utile d’insister sur la façon dont on a travaillé sur la complexité. Pour élaborer la note sur « l’allocation universelle », on a passé du temps pour la définir et la qualifier. Ce qui nous anime c’est que si l’idée est d’aller vers de l’universel il faut que ce soit un droit et pas une assistance.

S’il est vrai que la protection sociale est basée sur le salariat, on a plus que largement le sentiment que le travail est loin d’être fini … Une question se pose sur le lien entre allocation universelle et accès aux services collectifs de protection sociale. L’allocation universelle est par définition individuelle et chacun peut l’utiliser comme bon lui semble. Est ce que ça permet de mieux accéder à la protection sociale sous toutes ses formes y compris les services collectifs ? On a essayé de voir si une allocation universelle est neutre au regard de l’accès aux services pour tous.

Il y a deux catégories de prestations : les prestations en espèce et la protection en nature (école, maison de retraite, hôpital). Dans ce cadre, protéger a veut dire avoir accès à ces prestations en  nature, qui font l’objet d’un financement collectif, qui permet de rendre les services gratuits, payants en totalité ou payants en partie, chacun y accédant (ou pas) selon son pouvoir d’achat. L’idéal serait d’avoir des services de qualité pour tous et pas des hospices ou services d’urgence pour les pauvres (un filet de protection de base pour ceux qui ne peuvent accéder aux services collectifs plus ou moins payants) et des services payants pour les plus riches, de meilleure qualité.

En fait, depuis 40 ans, on évolue vers un système fondé sur le fait que tous les individus ont un accès indifférencié à des services qui peuvent être rendus par tout type d’opérateur, public, non lucratif, ou « de marché » (autre mot pour « lucratif »).  A cette fin, depuis 40 ans, les « consommateurs de santé » ont été solvabilisés par des aides a la personnes qui sont venues se substituer aux aides aux structures. Les aides au logement, l’aide à domicile ont remis en cause les financements collectifs des structures au profit d’aides à la personne et ont donc permis l’extension des marchés de services sociaux. La justification est celle du consommateur de bien de santé en tant que personne éclairée, susceptible de faire un choix entre une gamme d’offres concurrentes (et donc de meilleure qualité).

Le versement d’un revenu de base ne va-t-il pas renforcer cette tendance en permettant de considérer que les bénéficiaires ont reçu de quoi accéder aux services ? S’il vient se substituer à aux services en nature, est ce que l’on ne risque pas de vider ces services collectifs en nature ?

Par ailleurs, on doit se poser la question de jusqu’où les contributeurs au financement du système vont accepter le caractère universel d’une allocation sans contrepartie de la part ceux qui la touchent. Comment un revenu universel pourrait-il aller vers une sécu renouvelée ? Comment fait-on en sorte de continuer à faire société les uns avec les autres ? Comment va-t-on développer des actions collectives ? La conception même du système de Sécurité sociale mérite d’être regardée sous cet angle.

Au fond qu’est ce que l’on crée ensemble avec des dispositifs comme le revenu universel ? Est ce que l’on ne pourrait pas utiliser ces allocations pour financer des emplois vers des activités de transition, sociale, écologique ? Pour nous, l’articulation entre le versement d’une allocation individuelle et « vivre et faire ensemble » sont des questions qui sont sur la table.

Questions & discussion

Jean-Claude Boual : L’histoire nous dit des choses surtout sur le passage du collectif à l’individuel. Au départ les propositions de la Sécu était le revenu universel. Ce sont d’autres parties de la société qui l’nt refusée pour ne pas cotiser au même niveau que les salariés.
Devant les rapports de forces, Ambroise Croizat a aménagé ses propositions.

La réforme du logement social de 1977 date de Raymond Barre. Jusqu’à cette époque, les HLM étaient financés par une aide à la pierre. C’était une approche universaliste. Pour des raisons idéologiques, on est allé vers l’APL qui coûte bien plus cher ;  on est en train de la rogner et les  prestations diminuent. L’histoire de l’individualisation entre le capital et le travail montre qu’il n’est pas certain que la redistribution aboutirait a un revenu décent avec un salaire zéro. Soyons plus mesurés face à des solutions auxquelles il faut faire attention.

Benjamin Coriat : c’est complexe et on est devant de vraies difficultés. Oui, le système a été efficace et l’est encore, mais compte tenu des évolutions, il y a plein de gens qui passent sous le radar. Il faut réformer le système pour pouvoir l’étendre. Les problèmes existent. je ne pense pas que la solution soit de basculer vers l’individu. Je ne suis pas en faveur de l’allocation universelle parce que soit ça remplace les minima sociaux et il va y avoir des tonnes de perdants soit en plus ça va coûter très cher et il y a mieux à faire avec cet argent. Mais au moins 20% de travail gris, c’est énorme. On ne peut pas échapper la question de la subordination dans une société où l’on ne respecte plus rien. C’est le sens des communs de se prendre en main en particulier via la transition écologique qui va aussi se faire via des collectifs citoyens. Il y a une activité sociale qui n’est pas reconnue et qui doit ouvrir à des droit. Il n’y a pas que le strict salariat qui ouvre à des droits. C’est une série de problèmes difficiles et il faut les poser sur la table. Les droits communs du travail, c’est faire en sorte que certaines activités sous reconnaissance d’utilité sociale ouvrent à des droits. Il ne s’agit pas de basculer vers l’individu, mais vers l’obtention des droits. Cf droit à l’existence.

Bernard Friot revient sur la question du sens du travail. La performance de notre système peut aller dans le sens du soutien d’activités alternatives. Exemples : 1 – une prestation universelle qui s’inspire de la Sécu alimentaire de la Confédération paysanne, fondée sur une cotisation alimentaire comme une cotisation santé -150€ par mois avec sociabilisation – qui ouvre l’accès à des professionnels conventionnés anti-capitalistes dans l’idée de promouvoir l’aspiration à la liberté et au sens du travail. A tous les échelons de la production alimentaire, il y a des initiatives alternatives. 2. Je suis d’accord avec les droits qui passent de l’emploi à la personne, mais opposé à leur déconnection du travail parce qu’il est producteur de valeur. Pourquoi ne pas généraliser la qualification au poste qui a été initiée en posant la personne comme productrice de valeur et reconnaître le salaire comme un droit politique, à l’instar des épreuves de qualification et convention professionnelle.

Boris Séguy suggère un travail sur la construction collaborative de blocs fonctionnels servant à tous les outils numériques. On pourrait séparer fonction et donnée : on sépare la fonction qui est produite et développée collectivement, de la donnée qui est injectée qui, elle, représente l’identité du collectif regroupé autour d’un objectif. On recrée alors une séparation entre niveau de commun au même titre que la production d’outils agricoles et l’utilisation de ces outils par des coopératives agricoles qui en mutualisent l’achat. Des travaux sont menés en ce sens par plusieurs plateformes numériques coopératives (eQuartier, Open Food Network, Happy Dev, l’Assemblée virtuelle, Applicolis) et sont basé sur les travaux de standards d’interopérabilité technique de l’équipe de Tim Berners Lee au MIT et le standard interopérable Solid. La prochaine étape est la création d’un espace de discussion au sein de Plateformes en Communs, projet de La Coop des Communs, qui serait à un standard sémantique fonctionnel ce que le W3C est aux standards techniques du Web.

4ème séquence – Communs et protection sociale :  Frédéric Sultan

Je suis convaincu par le lien entre communs et protection sociale. Les communs, c’est un ensemble de pratiques de solidarité résultant du fait qu’il y ait eu un déplacement des pratiques de solidarité du cadre du travail vers celui de la solidarité. Les communs traitent par nature la question environnementale et la question sociale.

Dans un quartier du 18ème arrondissement de Paris, des personnes s’organisent depuis plusieurs années pour apporter le petit déjeuner à des personnes dans la rue. Cela fonctionne chaque jour, ce qui témoigne de la robustesse de ces activités. Ce qui est fort aussi pour ceux qui les organisent (et pas que les bénéficiaires), c’est que participer à la protection sociale, c’est retrouver la dignité, cela représente une reconquête de la dignité.

La production de connaissance par les habitants eux-mêmes permet de rééquilibrer le poids des experts, quitte à mobiliser ceux-ci en tant que de besoin.

Une approche systémique permet de travailler la question « comment faire ensemble pour que les gens fabriquent de la ville ». Vers une co-production de la solidarité.

On peut faire des propositions de chantiers :

– comment ne pas construire « à côté » : lLa contribution des communs n’est pas de faire un système de protection sociale parallèle au système existant aujourd’hui. Les communs représentent un mécanisme de reconquête de la confiance dans la protection sociale et de l’Etat. On ne peut pas modéliser la société à partir des indépendants ;

– une stratégie de reconquête de la confiance dans la protection sociale et l’Etat ; ce qui oblige à écarter l’idée de raisonner à partir de certaines couches de la population seules ;

– une logique de revendication des droits, et pas de subsides… avec une articulation avec les droits culturels. Vers un faisceau de souveraineté sur des droits divers (nourriture…) , pour réenchanter la protection sociale ;

– travail ;

– comment faire sortir la protection sociale de la marchandisation et pas le contraire.

Allons vers un “Forum des communs et la protection sociale” !

Questions & discussion

Ce serait intéressant de parler de la protection sociale “internationale” (solidarité avec l’Aquarius) … cotisation pour une solidarité sans frontières

Jérôme Voiturier, UNIOPSS, fédération d’associations de solidarité :  comment voyez-vous la coopération avec les associations de solidarité (les associations praticiennes de la solidarité)

Nicole Alix : les associations et les mutuelles vues comme systèmes auto-organisés, coproductrices de protection sociale, c’est la note que nous n’avons pas réussi à produire encore.

Henry Noguès : il s’agit de ne pas mettre en danger les dispositifs. L’allocation universelle nie la complexité. On ne peut pas construire la solidarité sans qu’il y ait des gens qui s’engagent.


III – RESUME DE LA SEANCE par Guillaume Compain  

La protection sociale est à l’interaction entre la sphère privée/domestique (responsabilité personnelle), la sphère politique et la sphère économique (mutualisation, assurance). Elle représente une protection à la fois des individus contre les risques, mais aussi de la société dans son ensemble contre les risques de désagrégation. Souvent à l’initiative des mouvements sociaux, congrégations, employeurs, la protection sociale a complété voire même parfois remplacé certaines solidarités historiques.

Soins, prévention et éducation sont considérés comme de la protection sociale car ce sont des bénéfices en nature accessible contre des prélèvements obligatoires. Il y a évidemment de nombreuses prestations financières, mais aussi des prestations en nature.

Le modèle social français n’a pas que des défauts (cf dossier d’Alternatives Economiques sur le sujet).

Le coût de gestion de la protection sociale : 6%, ce qui est moins que la grande majorité des entreprises. 13,6% de pauvres contre environ 17% en Europe (2015). Jean-Claude Barbier a calculé qu’on n’aurait besoin que de 20 milliards d’euros pour faire atteindre le seuil de pauvreté aux plus pauvres. Historiquement, les statuts de protection des français sont fragmentés. Pourtant, à l’origine, Ambroise Croizat avait l’intention d’intégrer tout le monde dans la protection sociale, mais certains secteurs (médecins, commerçants) ont estimé que ce n’était pas dans leur intérêt de cotiser au régime général (pour des raisons propres aux caractéristiques de leurs métiers).

Par ailleurs, celle-ci est globale, elle n’est pas divisible en segments, c’est un projet de société, un commun national. Si c’est un commun, alors peut-être faut-il le gérer collectivement : ni de manière technocratique, ni de manière privée lucrative.

Le débat est souvent entre offrir un filet de sécurité garanti à tous vs. un accès universel à une haute qualité de services. Mais dans cette première vision, certains voient le risque de basculer dans une logique d’individualisation des prestations (APL, aides à la personne) : plutôt que de soutenir les producteurs (associations, mutuelles) comme c’était le cas avant, par exemple dans le logement social avec les aides à la pierre, on fait confiance aux consommateurs pour choisir ce qui leur convient le mieux, tout en libéralisant les marchés, mais cela a conduit à une diminution de l’offre abordable et pas nécessairement à une meilleure qualité de prestations.

Se pose aussi la question aussi de la garantie que tout le monde contribue, en contrepartie de l’accès à la protection sociale, à des activités socialement utiles. Le groupe propose dans sa brochure de flécher les allocations de base vers des usages spécifiques : accès à des services de bonne qualité, activités socialement utiles (transition écologique…)

Mais comment valider collectivement ce qui est socialement souhaitable ? Pourquoi pas une allocation – très faible pour commencer – de contribution libre ?

Dans la salle : cf le projet de la Confédération Paysanne : une cotisation qui permettrait d’obtenir 150€ par mois de dépenses d’alimentation, uniquement auprès de professionnels conventionnés, dans une démarche résolument anticapitaliste.

Les communs permettent à tout le monde d’être engagé activement, pas simplement usager, bénéficiaire ou prestataire : “une co-production de la solidarité”. Cela pourrait aussi éviter de hiérarchiser les besoins et d’avoir des espaces de souveraineté individuelle dans différents domaines (alimentation, santé…), où l’on choisirait ce dont on souhaite bénéficier.

Les communs sont forts pour hacker les systèmes actuels (ex des AMAPs, CAE…)

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